24/06/2021
Ouverture publique jeudi 24 juin de 15h à 20h
Exposition du 24 juin au 29 août 2021
Ouverte sur rendez-vous, écrire à :
rendez-vous-33@mecenesdusud.fr
Fermeture annuelle du 2 au 22 août 2021
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Le 33, 33 rue Saint-Jacques, Marseille 6e
Lieu prêté par Isabelle et Roland Carta
Exposition organisée par Mécènes du Sud, dans le cadre de la Saison du Dessin initiée par Paréidolie, en écho à l’exposition Le stanze au centre d’art 3 bis f à Aix-en-Provence.
La septième chambre, Le Stanze
Qu’est-ce que la réalité sinon une chose fugace, éphémère ? Pour l'ancrer au temps et la rendre permanente, une femme, écrit Virginia Woolf, doit avoir accès à une chambre à soi… et un certain rapport à la mémoire, selon Rebecca Digne. Car tout comme le réel, si la mémoire nous définit, elle peut aussi nous quitter. Où va-t-elle donc lorsqu’elle s'efface ? Y a-t-il un lieu où l’on puisse la retrouver, où elle puisse fonctionner, se récréer et décider de sa propre vérité ? Qu’advient-il de la mémoire de ceux qui en sont privés ?
L’exposition Le stanze, « chambres » en italien, embrasse ces questions, jusqu’à la dernière pièce, La septième chambre, où la mémoire suit ses propres règles et la vie redevient possible, à condition que nous comprenions que notre réalité est tout sauf une chose toujours déjà décidée d’avance par les autres – pères, maris, collègues ou spécialistes en tout genre. Quand les outils qui nous permettent d’accéder de manière créative à notre propre mémoire nous sont inaccessibles, une solution s’impose.
Au XVIe siècle, le philosophe Giulio Camillo mit au point une technique de mémorisation, un procédé mnémotechnique conceptuellement agencé comme un théâtre. Dans cette architecture imaginaire, le spectateur ne se tient pas face à la scène mais en son centre, entouré de gradins divisés en sept rangées entrecoupées par sept couloirs. Autour de lui, chaque case créée par cet ordonnancement est associée à une figure symbolique et fonctionne comme une chambre, une cellule située à un endroit bien précis de la mémoire, de telle sorte que l’objet relié à lui soit facilement accessible. Dans ce Théâtre de la Mémoire, conçu pour que l’on puisse accéder à la totalité des savoirs, chaque fragment de connaissance correspond à une image. L’inventeur d’un tel dispositif était loin de se douter qu’un siècle plus tard, les unités élémentaires de la vie seraient nommées d’après les cellules (cellula en latin) monastiques. Des chambres comme on en trouve également dans l’ancien pavillon pour lequel Rebecca Digne a conçu sa double exposition – fermées à clé par le passé et à l’exception de celle qu’elle a imaginé à l’extérieur du pavillon, pour le 33, à Marseille.
La septième chambre ressemble aux autres cellules, et apparaît pourtant différente. Celle-ci est la chambre à soi, l’espace métaphorique qui représente tout espace réel dans lequel une femme pourrait créer et inventer son propre langage – un langage qui ne prend pas sa place, mais qui lui accorde au contraire, comme dans une genèse à rebours, sa propre voix. Ce n'est pas un hasard si le titre de cette partie de l’exposition, La septième chambre, s'infléchit dans la langue maternelle de l'artiste, le français, comme pour évoquer ce premier langage auquel nous sommes exposés, celui qui suit le stade du babillage et que nous apprenons à mesure que nous percevons le monde et autrui. Une sorte de territoire mnémonique, un espace originel, vibrant, à partir duquel seulement nous pouvons traverser l’existence et dessiner notre propre chemin dans la pluralité babélique du sens.
Au 33, à Marseille, la septième chambre est dessinée par l’artiste sur les draps mêmes dans lesquels des générations de femmes ont dormi, enfermées dans leur chambre. Cependant, les murs de cette pièce n’ont pas l’épaisseur des murs d’hôpitaux : ils sont aussi légers que les draps qui accueillent les rêves la nuit et laissent entrevoir un monde où les images vivent, porteuses de leur propre réalité. Ce sont des murs qui permettent à l'espace de se relâcher et s'ouvrir sur un territoire coïncidant avec ce point d'intensité, ce moment où chacun accède à sa propre vérité, porte sa propre contribution à un réel à venir, jamais donné comme acquis. Parfois, semble suggérer Rebecca Digne, il pourrait suffire de faire de la place à ce que l’on appelle la folie, qui n'est peut-être que la recherche d'un lieu dans lequel on puisse trouver ses propres mots. Par lequel le sens pourrait se donner avec la simplicité d’un repas.
Au 3 bis f, un long couloir nous conduit à l’exposition Le stanze, d’où nous poursuivions notre déambulation dans l’espace cinématographique de la vidéo Metodo dei loci (chapitre II), tournée en 2019 au sous-sol du Palazzo Ruspoli, à Rome. La caméra avance de pièce en pièce tandis que des enfants inventent une musique, potentielle origine du langage, en jouant avec des matériaux de construction, tels des tubes et des tuyaux. Sur un autre mur, Metodo dei loci (chapitre I) est le théâtre d’une autre promenade : dans les jardins de la Villa Médicis, un éléphant se promène dans les allées, imperturbable, comme s’il portait le poids et la sagesse de sa mémoire légendaire, à la manière des matriarches, ces puissantes éléphantes capables de protéger et orienter leur troupeau à travers de vastes territoires, en se fiant uniquement à leur mémoire : leur mémoire d’éléphant. La seule terre exacte c'est la langue, création sonore réalisée en collaboration avec le musicien Larry Gus, est diffusée à proximité : de la voix de la poète et psychanalyste Esther Tellermann émerge ses poèmes fragmentés et éclatants. La seule terre exacte, c'est la langue, et pourtant, quelque chose d’étranger y est à l’œuvre. Une écholalie, peut-être, un souvenir de la langue même. Peut-être un souvenir de ce qui est encore à venir. La vidéo Metodo dei loci (chapitre II), diffusée sur écran, induit pour le spectateur un effort de mémoire : deux enfants communiquent en se tapant dans les mains, mais l’image et le son ne sont pas synchronisés. La structure en boucle du film, qui finit là où il commence, ne permet pas de savoir si c’est le geste qui rappelle le son ou si c’est le son qui anticipe le geste. Tel est le statut de La septième chambre, avec laquelle l’exposition se termine, montrant le signe d’une amorce de langue à soi.
"Ils arrivèrent à un château
qui avait sept fenêtres :
six étaient grandes ouvertes
mais la septième était ouverte."
- Gianni Rodari
Texte de Chiara Vecchiarelli
Vues de l'exposition La septième chambre, Rebecca Digne, Le 33, 2021
Photos 1 à 3 : © Jean-Christophe Lett
Photos 4 et 5 : © Pierre Quintrand